Les nouvelles de Yoyo

Le feu glacial

Dans un hélicoptère sombre aux couleurs de l'armée de terre, des vies.
Il survole une zone sanglante d'où montent les cris de peur, de colère ou de lamentation, d'où montent les relents de guerre, écœurant.
Depuis l'ouverture laissée aux passagers de ce sinistre engin pour viser tout droit la terreur, on peut voir des corps à terre et des corps qui bougent, comme des dizaines et des dizaines de fourmis. Ils sont trop loin pour distinguer leurs traits mais assez prêt pour sentir leur animosité.
Les pales de l'hélicoptère agissent comme une musique couvrant les bruits de feu, à l'intérieur une symphonie rythmée par la mitraillette et le tintement des douilles qui tombent sur le plancher glacé.
Le pilote n'écoute que les ordres dans son casque, il surveille le bon fonctionnement de son infernale et conventionnelle machine.
A l'arrière, un des tireurs tombe, son camarade le rattrape entre deux coups de feu, il s'attelle à sa tache les mains maculées de sang, il exécute les ordres et les hommes, lui aussi n'est plus qu'une machine, bien conditionnée, cette machine ne tue pas des gens, elle protège un territoire.
L'homme qui git sur ce plancher voit flou, il pense à sa mère et à son père qu'il a quitté pour les protéger en se battant ici, une quinte de toux lui secoue la poitrine, il crache du sang, alors que la vie le quitte il songe à ses amis, à celle qu'il aimait et qui le pleurera un instant lorsqu'elle apprendra sa mort comme elle a pleuré en apprenant qu'il partait.
Ses yeux se ferment, des gens crient autour de lui.
Son camarade hurle au pilote de les ramener au camp pour soigner le blessé, le pilote refuse, il s'entête dans la réussite de leur mission.
Le blessé a froid, la balle a traversé sa poitrine et le sang emplit ses poumons petit à petit, il sait que même en rebroussant chemin maintenant il serait mort en arrivant là-bas. Son compagnon lâche son outil de travail et tente de lui prodiguer les premiers soins, l'hémorragie est trop grande, il constate son impuissance, on lui demande d'aider sa patrie en fauchant des vies mais il n'est même pas capable de secourir un ami dans le besoin.
A travers les ordres qu'il perçoit il décide de passer outre, il serre la main faible du blessé, à travers le tissu il en perçoit la froideur, il lui transmet dans ses derniers instant la chaleur d'une courte amitié, ou plutôt la chaleur de la honte qui l'envahit aussi irrémédiablement que le froid qui gagne son ami.
Dehors la boucherie continue, un mort de plus ou de moins, qui s'en souviendra ?

Invité

C'est vraiment profond. J'apprécie sincèrement ton texte.

Merci =D

Mauvais départ

Ce monde est malsain. Aujourd'hui les gens ne pensent qu'à se blesser les uns les autres, avec les mots, les regards, comme une grande boucherie sans éclaboussures.
Tout est gris dehors, même le Soleil qui délivrait sur nous sa blancheur grisâtre.
A la gare, des gens, des gens que je n'aime pas, des gens qui me font peur, je baisse les yeux pour échapper à leurs regards mais c'est pire, je me sens transpercée par leurs assauts silencieux.
Le train est là, je monte parmi eux.
Assise dans une cabine, cernée à gauche, à droite et en face, je pose mes mains sur mes genoux et attends.
Le train s'ébranle puis démarre, tout doucement, je ne regarde pas le quai disparaître par la fenêtre, je ne regarde que le fond de la cabine d'un gris sombre ré-haussé de quelques raies de lumière derrière mon voisin de face.
Chacun regarde, ou plutôt fixe un point en face de lui, regard froid qui me fait frissonner.
Ils le sentent, j'ai peur, cinq paires d'yeux se braquent sur moi, le train va-t-il plus vite ? Je sens mon cœur s'emballer, je suis tétanisée. J'ai envie de leur crier d'arrêter, ma voix ne sort pas.
Leurs têtes changent, il leur pousse des pics, ils n'ont que le corps d'humain, leur humanité est réduite à un état animal, un besoin de tuer pour ne pas être tué, je veux partir, je veux que ça s'arrête !
Soudain, le train freine, propulsant mon voisin sur moi, j'écarquille les yeux en sentant un pic me traverser la poitrine, ce n'est pas douloureux, juste surprenant, alors qu'il reprend sa place, le train repart, tourne, le soleil éclaire fièrement mon visage se vidant de la vie et le trou sanglant sur mon cœur, un hoquet, deux hoquets me secouent avant que mes membres ne se délasse d'une vie crispée de l'angoisse et de la peur, me tête bascule en arrière, je ferme les yeux, je suis morte.

Course contre le temps

Si devant moi tout s'effondre aujourd'hui, je ne cherche aucun responsable. On m'a trop souvent dit qu'il était dangereux de jouer avec le feu, j'en paie le prix. La douleur me ronge le cœur sans savoir où je vais, sans voir autour de moi rien d'autres que des brumes insaisissables. Les mains tendues m'échappent, comme d'habitude je gâche tout. Dans la nuit sans un bruit tout sera fini. Jamais je n'ai voulu ce qu'il m'arrive aujourd'hui, qu'on me vienne en aide, s'il est possible de revenir d'où je me suis réfugiée. Le souvenir est pesant, le présent envahissant, le futur écrasant. J'aurais aimé vivre en solitaire, au moins n'aurais-je pas connus tous ces doutes qui m'assaillent. Pourquoi quand tous les autres autour de moi sourient, je pleure ? Mais ces larmes sont bloquées par un maquillage de gaieté ancrée en moi. Perdre ou gagner je m'en fiche, mais ces amis auxquels je tiens tant, je ne veux pas... J'ai froid, mes mains glacées se serrent, je perds la tête dans le tumulte de mes sens, frustration, envie, peur, fatigue, doute, angoisse, soulagement, j'en ai assez !
Penser à demain quand on connait le fil de son destin, penser à aujourd'hui quand on sait qu'on ne le vivra plus, penser à hier quand on sait qu'il vous rattrapera, ma tête me lance et j'implose de ce temps mesquin, assassin silencieux qui se glisse et s'insinue partout. Te faucherai-je en plein vol ou faucheras-tu ma vie ? Notre duel n'en est qu'au commencement mais nous savons qui gagnera entre toi et moi. Ne peux-tu me laisser de répits ? J'entends le glas, peut-être était-ce hier, peut-être dans un demain lointain. Quand mon temps ce sera écoulé, me souriras-tu en me disant que je me suis bien battue ? Cette course m'épuise et je me débats plus que je ne vis. Aller tourne et tourne la petite aiguille, je te briserai d'une manière ou d'une autre, tourne tant que tu le peux. Dans ces instants de repos je te sens plus fragile si bien que je me prends à te distancer, rattrape ce que je t'ai pris, petite aiguille. Dans mon univers tu n'as pas lieu d'être. Tu en as assez ?
Punition, le retour à la réalité, le réveil, course contre la montre pour ne pas rater son bus, tu te venges de ce que la nuit m'aide à te voler, le jour t'es complice, j'ai compris. Seule la mort mettra fin à notre ronde, ma chère amie, mais sera-t-elle joueuse ou indifférente à notre gaminerie ? Je soupire en imaginant tes desseins, je ne t'aurais pas crue si imaginative, mais toi, tu as eu des milliard d'années pour te perfectionner, moi, je n'ai que peu d'expérience à t'opposer. Suis-je un jouet ou un insecte ? Me briseras-tu sur ton cadran ou m'écraseras-tu dans tes engrenages ? Peut-être suis-je tout simplement folle et que j'invente notre duel, petite aiguille, mais crois-moi je n'en est pas fini avec toi. Laquelle de nous en aura assez ?

» Yoyo & cie
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